À la recherche de saint Michel sur le mont Carmel

À la recherche de saint Michel sur le mont Carmel

Étrange, cette histoire de monastère dédié à saint Michel à Haïfa… On m’a commandé l’écriture du dernier épisode de la série sur la ligne de saint Michel mais, après deux ans en Terre sainte, je n’ai jamais entendu parler d’un tel endroit. Sur Internet, les mots-clés « ligne de saint Michel Haïfa » ne sont pas très fructueux. Si les articles s’épanchent sur l’histoire et la localisation des six sanctuaires michaéliques en Europe, ils se font plus flous sur le septième et dernier point en Terre sainte.

Ce sont ainsi un « monastère du mont Carmel à Haïfa », « le monastère carmélitain de Stella Maris à Haïfa » ou encore un vague « monastère du Carmel » qui sont tour à tour mentionnés. Un manque de précision qui devient criant quand ces mêmes articles estiment que « l’endroit » est « rapidement devenu un lieu de culte dédié à saint Michel l’archange », sans citer aucune source historique. Y a-t-il, ou pas, une dévotion particulière à saint Michel au mont Carmel ?

Désépaissir le mystère

Un voyage, pour désépaissir le mystère, s’impose. Destination : Haïfa. Dans cette ville portuaire du nord de l’État d’Israël, on trouve bien un monastère, baptisé Stella Maris. Accroché aux pentes du mont Carmel qui s’enfonce dans les eaux saphir de la Méditerranée, le sanctuaire appartient à l’ordre du Carmel, fondé en Terre sainte par quelques pieux ermites au moment des croisades, à la fin du XIIe siècle.

À la recherche de saint Michel sur le mont Carmel

Dans l’église, intime malgré la richesse de ses marbres blancs italiens, nulle trace de saint Michel. Pas même une peinture. « Aux dernières nouvelles, il n’y a pas de lien au sens strict avec l’archange ici », s’amuse le père Jean Emmanuel de Ena. Carme français et ancien professeur, il a été envoyé il y a neuf mois en Terre sainte. Il découvre l’existence de la ligne de saint Michel et est intrigué par son raccordement au monastère Stella Maris : « Ici c’est plutôt du prophète Élie, notre père, qu’on se souvient. » L’autel de l’église a été construit au-dessus d’une grotte, la « grotte d’Élie ». Les carmes estiment que ce prophète de l’Ancien Testament, figure centrale de leur spiritualité, y aurait séjourné.

Un lien plus ténu que jamais et la figure de saint Georges

Le lien avec saint Michel semble plus ténu que jamais. Alors que la dévotion envers l’archange est très développée en Occident – et que la Normande que je suis se fait toujours une fierté de rappeler que le Mont-Saint-Michel est normand –, les chrétiens de Terre sainte ne se sont pas approprié cette figure, même si les anges sont très présents dans leurs liturgies. Leur culte s’est développé à l’époque byzantine (IVe-VIe siècle apr. J.-C.), en association avec celui des martyrs et des reliques. Une manière de compenser l’incorporéité des anges. « Le faible succès de la dévotion michaélique en Terre sainte » s’explique, selon le savant belge Ugo Zanetti, par le fait que « la région possédait de nombreuses autres reliques importantes, dont certaines du Christ ».

De fait, les églises et paroisses baptisées sous le patronage de l’archange se comptent sur les doigts de la main en Terre sainte. « En Orient, la figure importante est saint Georges, note le père de Ena. Lui aussi terrasse un dragon. Il n’y a pas une église orientale qui ne dispose d’une icône de ce saint local. »

Axe Apollon/saint Michel

Alors pourquoi avoir placé le dernier point de ladite « épée de saint Michel » en Terre sainte ? Et pourquoi dans ce décor, qui semble avant tout associé aux péripéties du prophète Élie ? « Cela fait sens de terminer en Terre sainte. Après tout, c’est là que le christianisme est né, que Dieu s’est incarné. C’est une manière de lier l’Orient et l’Occident », estime le carme. Quant au mont Carmel… C’est une carte qui va mettre le religieux sur une nouvelle piste. Accessible partout sur Internet sans que son origine soit jamais précisée, elle s’intitule « Axe d’Apollon/Saint Michel » (1).

Elle localise chaque monastère sur une ligne complétée par trois sanctuaires grecs dédiés au dieu du soleil Apollon. La droite passe par le mont Carmel. Un autre toponyme a été ajouté à côté : « Armageddon ». Tout s’aligne – dans l’esprit du carme, du moins : « Venez au monastère Deir Al-Muharraq, vous comprendrez », nous invite-t-il à la fin d’une conversation téléphonique.

Deir Al-Muharraq ? Le « mont du Sacrifice », en arabe. Un autre sanctuaire carmélitain, situé à une vingtaine de kilomètres de Haïfa, au sommet du mont Carmel. Les moines y font mémoire d’un épisode du Premier Livre des Rois où Élie défie et vainc les prophètes du dieu païen Baal avant de les massacrer (1 Rois 18, 19s). Le père de Ena y assure l’accueil des visiteurs de manière régulière.

Pèlerins américains et indiens, visiteurs israéliens, jeunes chrétiens arabes accompagnés de leur prêtre… C’est la Terre sainte dans toute sa diversité qui se presse dans la cour en ce samedi matin, jour de shabbat. Avec son habit de toile brune et ses increvables sandales en cuir, le religieux ne manque pas d’attirer l’attention. Des pèlerines espagnoles se prennent en photo avec lui devant la statue d’un Élie guerrier, épée brandie au-dessus de la tête, et pied posé sur un prophète de Baal. Il s’extirpe habilement de la séance photo et nous emmène sur le toit de l’église.

Le combat final entre le bien et le mal

Le panorama est à couper le souffle. Le carme pointe la direction de la plaine qui s’étend vers le sud : « Là-bas, c’est Megiddo. Dans l’Apocalypse de Jean (16,16), la plaine où elle est située est baptisée Armageddon. C’est le lieu où tous les peuples seront réunis pour le combat final entre le bien et le mal. »

Quelques chapitres plus haut (12,7-18) , le récit évoque la victoire de saint Michel dans sa bataille céleste contre le dragon, symbole du mal. « Il se peut que ça soit ça, l’origine du lien entre l’archange et la région du mont Carmel : cette thématique plus globale de la victoire du bien contre le mal. » L’ancien professeur reprend le dessus : « En fait, ce qu’il faut, c’est trouver l’origine, l’inventeur de cette ligne ! »

L’enquête continue. En ligne cette fois, et en anglais. Les recherches sont plus fructueuses. Un article mentionne les recherches de deux Français, frères de sang, Jean et Lucien Richer. Le premier, professeur de littérature, s’est passionné pour l’étude de la géographie sacrée de la Grèce antique et a montré que les principaux sanctuaires grecs (Delphes, Athènes, Délos) étaient situés sur une même ligne droite.

C’est son frère Lucien – lui aussi intéressé par le tellurisme et l’ésotérisme –, qui va allonger la ligne et la connecter à saint Michel. Il défend cette idée dans « L’“Axe” de saint Michel et d’Apollon », un article publié en 1977 dans la revue Atlantis (n° 293, mai-juin 1977), spécialisée dans l’étude de l’héritage des traditions et spiritualités des premières civilisations.

La victoire d’un culte céleste sur une croyance liée à la Terre

Dans cet article, dont nous avons pu obtenir une copie, Lucien Richer ne liste que cinq monastères dédiés à saint Michel, excluant celui de Symi en Grèce (lire La Croix du 18 août 2023), pour se concentrer sur les cinq sanctuaires dédiés à Apollon. « À la fin de ce voyage à travers toute l’Europe, nous atteignons la côte asiatique en un point non moins remarquable que les précédents : le mont Carmel », écrit-il, avant de faire référence à l’épisode d’Élie et des prophètes du dieu Baal.

« La lutte contre le culte de Baal, dieu des sommets, illustre une fois encore la victoire d’un culte céleste sur une croyance liée à la Terre », justifie simplement l’auteur, reprenant une théorie qu’il développe tout au long de l’article : chaque point de la ligne a été le témoin du « passage d’une croyance liée à la terre à un culte solaire, puis au christianisme ».

Dans les pages précédentes, il dresse aussi un parallèle entre les figures de saint Michel et d’Apollon : « Saint Michel terrasse le dragon, comme Apollon terrasse Python (…). Ainsi apparaît clairement le caractère solaire de saint Michel qui, dans son rôle de “chef des milices célestes” peut être considéré comme un avatar d’Apollon. » Saint Georges, Élie, Apollon… Et si cette ligne et son point final symbolisaient finalement l’universalité de cette thématique qui structure l’humanité : l’éternelle victoire du bien contre le mal et le besoin des hommes de s’associer un protecteur céleste dans ce combat…

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L’archange et l’Orient

Arrivés avec les croisades de la fin du XIIe siècle, des ermites fondent un ordre religieux sur le mont Carmel et se donnent le prophète Élie comme père spirituel. Ils seront expulsés de Terre sainte en 1291 et n’y reviendront qu’en 1631, s’installant sur l’emplacement actuel du monastère Stella Maris qui, lui, date de 1836.

Les dévotions à l’archange Michel fleurissent dès le IVe siècle en Orient, et sont pratiquées aussi bien par les chrétiens que par les païens et les gnostiques.

Saint Michel est une figure multiforme : guerrier et guérisseur, il est aussi patron des sources curatives et des fleuves, psychopompe (guide des âmes) et gardien des portes, des villes et des sanctuaires. Une flexibilité qui permet l’adaptation de son culte à différentes réalités.

Près de 35 lieux dédiés à saint Michel ont été recensés aux alentours de Constantinople au XVe siècle.

À la recherche de saint Michel sur le mont Carmel

La mission de montsaintmichel.net est de rassembler en ligne des journaux autour de Mont Saint Michel pour ensuite les présenter en tâchant de répondre du mieux possible aux interrogations du public. Ce post a été prélevé d’internet par l’équipe de montsaintmichel.net du seul fait qu’il se présentait dans les colonnes d’un média consacré au thème « Mont Saint Michel ». Cette chronique est reproduite du mieux possible. Vous avez l’opportunité d’utiliser les coordonnées inscrites sur le site pour indiquer des précisions sur ce contenu sur le thème « Mont Saint Michel ». Il y a de prévu plusieurs travaux sur le sujet « Mont Saint Michel » bientôt, nous vous invitons à naviguer sur notre site web aussi souvent que possible.