Au cœur du labyrinthe de l’abbaye du Mont-Saint-Michel




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Les galeries souterraines qui courent dans les entrailles du Mont-Saint-Michel nourrissent bien des fantasmes. Niché au c?ur du monastère, cet entrelacs de couloirs et d’escaliers secrets excite d’autant plus les esprits qu’une partie de ce sinueux réseau a été murée au fil du temps. Florence Margo-Schwoebel a conduit depuis 1996 un impressionnant travail de recherche pour saisir la raison d’être de cet improbable dédale.

Le Point : Vous avez d’abord étudié la littérature. Qu’est-ce qui vous a incitée à vous pencher sur l’archéologie du bâti au Mont-Saint-Michel ? 

Florence Margo-Schwoebel : Le hasard des rencontres. J’ai certes commencé par un cursus de lettres : une khâgne au lycée Chaptal à Paris puis un parcours universitaire à la Sorbonne (Paris IV), mais j’ai suivi en parallèle une autre formation à l’École du Louvre et ai toujours été passionnée par l’architecture. Après m’être spécialisée en littérature médiévale, j’ai conduit un premier travail de recherche sur les décors des romans du Moyen Âge, sous la direction de Michel Zink. Cela m’a amenée à me pencher sur l’univers des palais et des châteaux en confrontant leurs représentations littéraires à la réalité.

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Comment passe-t-on d’un château à un sanctuaire ?

J’ai souhaité poursuivre ma formation auprès de Nicolas Reveyron, professeur d’histoire de l’art et d’archéologie du Moyen Âge à Lyon. Il avait aussi une équipe de recherche au sein du laboratoire ArAr (Archéologie et Archéométrie). Après avoir réalisé un mémoire sur les églises du nord du Cotentin, où j’ai passé mon adolescence, j’ai consulté Maylis Baylé, qui travaillait alors au CNRS, pour savoir quels sujets en friche je pouvais débroussailler en troisième cycle. C’est elle qui m’a incitée à m’intéresser au Mont-Saint-Michel. « On croit tout savoir sur ce haut lieu patrimonial, mais il nous réserve encore des surprises », m’avait-elle dit. Elle avait raison !

Qu’est-ce qui vous intéressait particulièrement dans ce monument ?

La manière dont il a été construit. Je voue une grande admiration aux bâtisseurs normands qui ont travaillé des matériaux difficiles. Si le calcaire de Caen est raffiné, le granite utilisé dans la plupart des constructions médiévales est très dur. J’aime les bâtiments où le recours à ces rudes minéraux que sont les schistes et les grès laisse voir le travail des maçons. 

À quel moment avez-vous commencé à vous concentrer sur cette histoire de labyrinthe ?

En étudiant le chantier de construction de l’abbatiale, j’ai repéré des incongruités : des portes murées, des ancrages arrachés et rebouchés, des parements de mur discontinus, dont témoignent des ruptures dans le type d’appareil utilisé. Autant d’indices qui trahissaient des reprises de l’ouvrage et l’existence de niveaux disparus. Ce qui est normal, quand on sait que l’abbaye a été construite sur plusieurs siècles et profondément remaniée à plusieurs périodes. J’ai tenté de reconstituer la chronologie de ces modifications. Très vite s’est imposée à moi l’idée que l’étude des voies de circulation méritait une attention particulière.

C’est l’idée d’un dédale qui vous intéressait ?

Entendons-nous bien sur les termes. Les bâtisseurs du Mont-Saint-Michel n’ont pas créé un labyrinthe pour égarer les gens. La complexité du réseau de galeries qui relient les bâtiments résulte des nombreux chantiers qui se sont succédé au fil du temps.

Comment est venue, chez vous, l’intuition que les empreintes que vous évoquiez permettaient de dessiner un réseau de couloirs fantômes ? 

Quand vous avez une arche murée ou l’empreinte d’un escalier disparu sur une paroi, vous ne pouvez qu’imaginer que des circuits de circulation différents existaient alors. Quels étaient-ils ? C’est la question que j’ai voulu élucider.

Pendant plus de cinq ans, vous avez donc étudié le site pour reconstituer ces voies de circulation. Qu’en concluez-vous, aujourd’hui ?

J’ai d’abord effectué un relevé topographique assez précis des lieux et établi une chronologie sur les substructions du Mont à l’époque romane. Après une pause de quelques années, j’ai repris ces travaux en 2015, au moment où le Centre des monuments nationaux conduisait un ambitieux programme de numérisation du bâtiment. La technologie dite des « nuages de points » a conforté mon analyse sur l’existence de plusieurs réseaux distincts de couloirs.

À quoi servaient-ils ?

À maintenir deux populations aussi éloignées que possible l’une de l’autre : celle des moines cloîtrés et les foules de pèlerins qui convergent vers le sanctuaire. L’enjeu auquel ont été confrontés les bâtisseurs du site a été de permettre au monastère de continuer de fonctionner malgré l’afflux de visiteurs.

Ces couloirs séparés ne sont rien d’autre que la poursuite de la clôture qui sépare, dans la liturgie, la communauté monastique des masses profanes ?

C’est l’une de ses raisons d’être. Ces galeries organisent les flux afin d’éviter les croisements intempestifs. Mais ces voies de circulation ont beaucoup changé au fil du temps.

Comment ?

Comme je le disais plus tôt, les lieux ont été profondément remaniés. Chaque refonte du bâtiment a bousculé les circuits. Des couloirs ont été abandonnés et d’autres, créés. Et cela a commencé dès la construction de l’abbatiale. Une église préexistait à l’abbaye que nous connaissons. Cet édifice a dû être détruit à partir de 1023. Quand le chevet roman a été achevé [vers 1048, NDLR], le reste du vieux bâtiment a été détruit pour construire la nef. Le culte qui s’était concentré dans la partie haute de Notre-Dame-sous-Terre s’est alors déplacé vers l’est pour permettre aux ouvriers de travailler.

Y a-t-il eu beaucoup de bouleversements par la suite ?

À chaque grande phase de travaux ! Au XIIe siècle, quand la façade a été modifiée par la construction de deux grandes tours, quand des incendies ont ravagé certains bâtiments aux XIIIe et XIVe, lors de l’effondrement du ch?ur au XIIe siècle, puis d’une partie de la nef au XVe. Les chantiers de reconstruction n’ont d’ailleurs pas tous résulté de catastrophes.

Des marches sont visibles dans la crypte de Notre-Dame-des-Trente-Cierges : où conduisait cet escalier mystérieux ?

Ce n’est pas un mais deux escaliers qui existaient là. Mon hypothèse est qu’ils conduisaient au transept nord de l’abbatiale.

Vous confrontez littérature et réalités archéologiques. Quels textes ont pu alimenter les fantasmes qui entourent ces galeries secrètes ? 

La littérature populaire du XIXe siècle, assurément : Paul Féval et ses Merveilles du Mont-Saint-Michel, mais aussi les guides touristiques de l’époque, qui multiplient les visions pittoresques du lieu et laissent entendre qu’on a creusé la roche pour construire des salles.

Le passé de prison du Mont doit jouer aussi, les légendes d’évasion par tunnel sont nombreuses…

Peut-être. D’autant que des cavités aujourd’hui bouchées étaient visibles peu après la fermeture de la maison de force. Ces espaces résiduels situés à la base de plusieurs bâtiments pouvaient être pris pour des entrées de galeries. Mais le travail de restitution fait par certains restaurateurs, comme Paul Gout, a pu aussi conduire à se méprendre sur la vraie nature de certains espaces clos.

Un exemple ?

On a longtemps cru que Notre-Dame-sous-Terre était le cimetière des moines. En y pénétrant, certains pensent entrer dans une grotte. Le fait que cet espace soit aujourd’hui enveloppé par d’autres bâtiments a fait oublier qu’il s’ouvrait jadis sur l’extérieur. La topographie du Mont est trompeuse. Après avoir gravi les « grands degrés » de l’escalier extérieur, le visiteur a l’illusion de ne faire que descendre. Cela conforte l’idée que l’on remonte le temps. C’est, bien sûr, une illusion !

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