Mont Saint-Michel : l’Abbaye disparaît, apparaît, comme une lanterne magique

Je marchais dans la brume. Une brume de mer poisseuse, opaque. À chaque pas, au contact du nuage qui courait vers la terre, de mon front, je stoppais des gouttelettes. Le mouvement du brouillard à l’équerre de la dune se frottait à mon corps. J’éprouvais du visage la fraîcheur de la mer.

Arrivant par le nord, par la plage de Donville-les-Bains, j’aurais dû voir Granville grandir à l’horizon de la marée montante, mais tout n’était que joggers émergeant du brouillard comme fantômes d’une ville balnéaire engloutie. Quand je passai à sa hauteur, un pêcheur à la ligne se pencha sur un sac de supermarchés en plastique posé à même le sable sur lequel était écrit ACTION en lettres capitales italiques et bleues, seule touche de couleur dans ce décor de gris laiteux.

J’aurais dû voir Granville.

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Premier grand port en eau profonde depuis Cherbourg à la pointe nord du Cotentin, avant celui de Saint-Malo au sud-ouest du Mont-Saint-Michel. Je devinais tout au bout de la digue-promenade, un casino et des tourelles comme pigeonniers crépis de jaune éteint. Je descendais par l’escalier-balcon de la Villa de Christian Dior, enivré du parfum de ses roses.

Les touristes étaient rares, mais dans la brume devenue crachin, un employé municipal alignait l’une après l’autre des cabines de plage en deux rangées de blanc incandescent dans la grisaille ambiante. Son collègue à la même manœuvre pilotait un fenwick rouge-ferrari. Cela sentait le bourgeon touristique quand le crachin devint averse.

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L’homme était jeune. Il se fichait du ciel. Assis sur le parapet de la promenade, il écoutait de la musique en se roulant une cigarette. Ses bras musclés étaient tatoués, mis en valeur par un t-shirt à manches courtes. Sa jambe droite amputée juste en dessous du genou battait la mesure dans le vide. Cinq mètres plus bas, la mer battait les pierres, terne, écumeuse, comme prise d’envie de lécher ce moignon bandé du même blanc immaculé que celui des cabines de plage.

Je n’ai vu son fauteuil rangé contre le parapet qu’en le doublant d’un signe de tête qu’il m’a rendu en me souhaitant bonne route. J’ai regardé mes jambes, soudain coupable de les avoir intègres, de découvrir une liberté de déplacement qui semble aller de soi quand la vie vous épargne l’accident de parcours.

Mal lui en prenne de maudire sa fatigue, l’homme qui marche est forcément le plus léger des êtres, chacun de ses regards allège son bagage.

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Mettre un pied devant l’autre nécessite de lui, sa patience, son écoute, afin d’entretenir entre son monde et l’horizon un incessant rapport. Il respire les pollens, il s’hydrate à la pluie. Au milieu d’une forêt de carottes sauvages, il se perd, bienheureux d’écouter les abeilles. Le printemps est son temple où il prie le soleil et les poules faisanes. Il admire les nombrils-de-Vénus aux tiges bandées de fleurs, le cortège des nuages teintant la mer de bleu ardoise avant qu’elle ne retrouve son jaune-limon de sédiments quand les nuées s’enfuient au loin.

Si les pieds de l’Archange sont le centre d’un cercle pour moitié fait de tangues et d’herbus lacérés de méandres que dessinent la Sélune et la Sée au sud-est de la baie, et pour l’autre, au nord-ouest vers les îles de Chausey, de leurs lits s’évasant vers le large, comme si le Mont à l’exemple d’un poulpe commandait aux cerveaux de ses longues lanières d’eau douce ; spirituelle ou païenne, l’Abbaye disparaît, apparaît, aux détours du chemin comme le ferait une lanterne magique dans une chambre d’enfant.

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Roselières, prés salés, tamaris, ombelles de sureaux en fleurs, échasses blanches aux ailes noires et longues pattes de rose rouge vif, voie lactée de brebis et d’agneaux, laine crème, pieds et têtes café.

Pointe de la Roche Torin face au Mont-Saint-Michel posée sur un plateau de pâturages verts vibrant dans la tiédeur de mai au loin, s’arrêter de marcher, écouter les moutons paître l’herbe en un bruit de cuir neuf qui grince lorsque leurs lèvres saisissent les brins et les coupent dents serrées d’un mouvement sec de tête. L’aubépine et ses milliards de fleurs qui les accueillent au temps patient de la rumination.

Panthéiste exalté, mon encens est la marche.

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Crédits photo : Marc Roger / ActuaLitté, CC BY SA 2.0

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